Affaire Huawei vs Trump : quelles issues possibles ?
-EDITO- Comment va se terminer l’affaire Huawei vs Trump ? Cette question, beaucoup se la posent, à juste titre. En quelques semaines à peine, Huawei a dû faire face à plusieurs déboires sur fond de crise géopolitique. Nous avons analysé la situation afin de déterminer les différents scénarios possibles pour sortir de ce conflit.
En mai 2019, Donald Trump créait un véritable coup de tonnerre sur la planète high-tech. Le Président des États-Unis signait un décret interdisant aux entreprises américaines de collaborer avec Huawei. Cause officielle : des accusations d’espionnage et d’exploitation de données. En lisant entre les lignes, on comprend que le Président américain craint pour ses multinationales dans la course à la 5G et aux technologies de demain. Pas question de voir le géant chinois remporter la guerre technologique, reconnaît-il. Au milieu, l’Europe, impuissante, représente l’enjeu majeur des deux pays. Les États-Unis, bien implantés sur le Vieux-Continent (Google, Apple, Facebook, etc.) refusent de laisser la place à la Chine.
Si Huawei est particulièrement visée, c’est parce qu’elle représente la plus grande menace pour Donald Trump. L’entreprise a réussi à s’imposer comme le numéro 2 mondial des smartphones devant Apple et s’annonce comme l’un des acteurs majeurs de la 5G en Europe. Après une première rencontre, Donald Trump et Xi Jinping semblaient avoir trouvé un accord commercial. Mais sans que personne s’y attende, le Président américain a d’abord augmenté les frais de douanes pour tous les produits en provenance de Chine. C’était avant de s’apercevoir que les premières victimes de cette mesure étaient les consommateurs américains.
Sous couvert de “sécurité nationale”, Trump a alors placé Huawei sur liste noire, soulevant ainsi de nombreuses inquiétudes chez les utilisateurs de produits Huawei. Par exemple, Google ne peut plus travailler avec le numéro 2 mondial du smartphone. Or, tous ses appareils mobiles embarquent Android, le système d’exploitation de l’entreprise californienne.
Le PDG de la marque chinoise admet ne pas avoir envisagé de telles répercussions, mais reste néanmoins confiant. Huawei peut franchir certains obstacles, non sans efforts, mais tous. Pour certains, le défi reste plus grand. À ce jour, la situation reste gelée. Quelles sont alors les issues possibles dans cette affaire mêlant intérêts économiques et géopolitiques ? Nous avons étudié la question.
La solution d’urgence : Huawei trouve des alternatives
Le premier scénario reposerait entièrement sur Huawei (aidé par le gouvernement chinois). La marque a d’ores et déjà fait comprendre qu’elle avait anticipé d’éventuels blocages provenant des États-Unis. Le décret Trump empêche le chinois d’utiliser Android sur ses futurs smartphones puisque l’OS appartient à Google.
Néanmoins, Android reste un système disponible librement et gratuitement grâce à l’Android Open Source Project. Ainsi, Huawei dit avoir développé HongMeng OS en interne, un logiciel maison basé sur Android AOSP et déjà en test sur 1 million de modèles en Chine. La marque a même déposé d’autres noms qui pourraient être utilisés en Europe : Ark OS et Oak OS.
Si les rumeurs annoncent HongMeng OS pour octobre 2019, Huawei doit régler un problème de taille, celui de la boutique d’applications. Même si son OS est basé sur Android (et qu’il peut faire tourner les mêmes applications), il n’embarquera toujours pas les services Google, donc le Play Store. Le géant chinois va donc devoir convaincre les développeurs de proposer leurs applications sur App Gallery, la boutique d’applis maison qui compte 270 millions d’utilisateurs actifs (selon la marque).
Huawei dispose de deux leviers : sa position de numéro 2 mondial du smartphone donc son parc important d’utilisateurs et le taux de commission appliqué. Établi à 30% chez Apple et Google, ce taux pose un véritable problème économique pour de nombreux développeurs. Huawei pourrait par exemple proposer une commission de 15 ou 20% pour les attirer dans ses rangs. Selon la marque, ils sont déjà 560 000 à se lancer dans l’aventure.
Si Huawei parvient à mener à bien ce projet (qui se révèlerait vraiment viable d’ici plusieurs années), il pourra mener une stratégie comparable à celle d’Apple et maîtriser son logiciel et son matériel. On peut même imaginer un système dédié au PC pour faire converger l’ensemble.
Il reste néanmoins un obstacle de taille : les composants. Après le décret, Huawei n’a pas seulement perdu Google, d’autres acteurs majeurs du marché ont lâché la marque. Parmi eux, on compte ARM, acteur indispensable à la conception de tous les processeurs fabriqués au monde. À moins que Huawei ait provisionné un stock monumental de composants nécessaires à la fabrication de ses propres puces, nous ne voyons pas comment il pourrait s’en sortir sans l’intervention du gouvernement chinois.
La plus insensée : la Chine joue la surenchère
Jusqu’à maintenant mesuré, le gouvernement chinois pourrait s’agacer de l’obstination de Donald Trump. Au-delà des conséquences sur le marché des smartphones, c’est surtout le rôle de Huawei dans le développement de la 5G qui pourrait être remis en question. Pour ce géant des télécommunications, cet affront frôlerait l’intolérable et le gouvernement n’hésiterait pas à l’épauler.
Pourrait alors se déclencher un jeu dangereux de la surenchère. Le 29 mai 2019, la Chine menaçait déjà (gentiment) Trump de limiter les exportations de terres rares. Ce matériau se révèle indispensable dans la fabrication de n’importe quel produit électronique. Et la Chine fournit 95% des ressources mondiales (dont 50% lui sont destinés). En résumé, sans elles, pas de produits high-tech américains.
Aux États-Unis, les acteurs majeurs du secteur s’inquiètent de cette perspective. Cette vague de protectionnisme pourrait également poser d’autres soucis du côté des chaînes de production. Actuellement, la plupart des usines de fabrications de produits électroniques se situent en Chine. Si le gouvernement décide de hausser le ton, les entreprises américaines pourraient y perdre beaucoup. Si les usines étaient rapatriées aux États-Unis, les prix des produits Tech pourraient significativement augmenter et manquer de compétitivité par rapport aux concurrents chinois.
En revanche, en Chine, cette vague de départs mettrait fin à un secteur d’activité rentable et créateur d’emplois. En résumé, le jeu de la surenchère ne profiterait à aucun des deux partis. Mais les États-Unis auraient sans doute plus à y perdre.
La plus probable : Trump revient sur sa décision
Cette situation fébrile pourrait conduire à une issue plus raisonnable : un retour en arrière de Donald Trump. En prenant Huawei en otage dans ses négociations avec la Chine, le président américain commet une action sans précédent dans l’Histoire du commerce international. De cette manière, il démontre à son adversaire/partenaire que se passer des États-Unis peut avoir des conséquences néfastes dans l’économie de la Chine. Depuis le décret, Huawei a revu ses objectifs de ventes à la baisse, la sortie de son smartphone pliable est repoussée, et certains produits comme le Honor 20 Pro ne sont jamais sortis dans certains pays.
Tout ceci n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les véritables enjeux se situent dans le déploiement de la 5G. Les opérateurs du monde entier comptent sur le savoir-faire Huawei pour développer ce réseau sur lequel l’industrie a placé (presque) toutes ses billes. D’ailleurs, l’Europe, prise entre deux eaux, ne s’est pas positionnée sur le sujet malgré les demandes des Etats-Unis. De son côté, la France a déclaré que Huawei pourrait entrer sur la table des négociations comme n’importe quel autre acteur. Le vendredi 28 juin 2019, Donald Trump et Xi Jinping se rencontreront dans le cadre du G20 à Osaka. L’occasion, peut-être, de trouver un terrain d’entente.