L’Europe accuse Apple d’abus de position dominante après une plainte de Spotify
Selon la Commission européenne, les pratiques d’Apple sur le marché du streaming musical sont anticoncurrentielles. Ce sont les conclusions d’une enquête préliminaire faisant suite à une plainte de Spotify. Ce dernier accuse Apple de privilégier son service, Apple Music, en ne le soumettant pas à la commission de 30 % imposée à tous les paiements réalisés sur l’App Store.
Si vous êtes abonnés à Netflix et que vous avez un appareil Apple, vous avez peut-être remarqué qu’il n’est pas possible de s’abonner directement depuis l’application iOS, iPadOS ou tvOS. La raison est simple : Netflix refuse de supporter la commission d’Apple imposée sur tous les achats réalisés sur l’App Store ou à l’intérieur des applications. Et le service refuse de faire supporter le coût à ses abonnés. Il contourne ainsi le problème. Et il se permet de le faire, car il est leader mondial incontesté du streaming vidéo.
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Spotify a choisi une autre stratégie. Pour signifier son désaccord vis-à-vis de ce que tout le monde appelle la « Taxe Apple », le service suédois a pris le parti de jouer la carte de la transparence. Il est possible de s’abonner directement dans l’application iOS. Mais le prix n’est pas le même qu’ailleurs : 12,99 euros par mois, au lieu de 9,99 euros. La firme va même jusqu’à expliquer la raison de cette différence : Spotify ne veut pas porter la commission d’Apple et la reporte donc sur le prix d’achat de son service.
C'est de la concurrence déloyale, selon la Commission européenne
Même si Spotify est lui aussi leader de son marché, la concurrence est plus tenace, notamment sur iOS. Notamment avec Apple Music dont l’application est intégrée dans le système d’exploitation et dont le prix est à 9,99 euros par mois. Avec plusieurs centaines de millions d’utilisateurs dans l’écosystème d'Apple, le pied de nez de Spotify est courageux, mais économiquement bancal. La firme scandinave a donc porté plainte auprès de la Commission européenne pour abus de position dominante et pratique anticoncurrentielle. C’était il y a deux ans. Depuis, Spotify a porté à nouveau plainte fin 2020 au lancement d'Apple One.
Aujourd’hui, la Commission européenne a rendu un avis préliminaire suite à son enquête sur l’App Store et sur les accusations de Spotify. Et celui-ci est relativement clair : oui, Apple ne respecte pas les lois européennes sur la concurrence. Margrethe Vestager, célèbre vice-présidente de la Commission européenne en charge du numérique, a posté sur Twitter détaillant cet avis. Apple Music est un service de streaming concurrent d’autres services. Or, Apple n’impose pas à son propre service la commission qui est pourtant obligatoire pour ses adversaires.
Our preliminary conclusion: @Apple is in breach of EU competition law. @AppleMusic compete with other music streaming services. But @Apple charges high commission fees on rivals in the App store & forbids them to inform of alternative subscription options. Consumers losing out.
— Margrethe Vestager (@vestager) April 30, 2021
Pire, Apple refuse aux opérateurs de ses services concurrents la possibilité d’informer les consommateurs d’alternatives pour s’abonner. Et les clients sont les premiers à en pâtir. Dans un communiqué de presse, la commissaire explique que les concurrents d’Apple Music sont obligés de reporter le coût de la Taxe Apple sur le prix de leurs services (comme Spotify). « Les règles d’Apple faussent la concurrence dans le domaine du streaming musical en augmentant les coûts de fonctionnement des développeurs des services concurrents », explique la commission dans un communiqué de presse.
“Spotify veut profiter de l'App Store sans payer”
Spotify et Apple ont évidemment réagi à cet avis. Spotify l’accueille très positivement, bien évidemment. Quant à la firme de Cupertino, elle défend sa position en tant qu’opérateur de l’App Store : « Spotify est devenu le service de streaming le plus important au monde et nous sommes fiers d’y avoir joué un rôle. (…) Spotify demande à pouvoir promouvoir un autre système de paiement dans son application, ce qu’aucune boutique d’application n’autorise. Ils veulent tous les bénéfices de l’App Store, mais ne pensent pas qu’il faudrait payer pour en profiter », explique-t-elle dans un communiqué envoyé à nos confrères de The Verge.
Le reste du témoignage de la firme est intéressant. Elle affirme que Spotify n’est pas tant impactée par la charge de la commission de l’App Store : moins de 1 % des abonnés à Spotify ont contracté leur abonnement via l’App Store. Ce qui veut dire que la très grande majorité des clients de Spotify sur iOS ont trouvé la parade et paient le même prix que les autres. Seulement, Spotify aimerait bien en acquérir plus. Et, surtout, en voler quelques-uns à Apple Music.
La Commission européenne affirme donc aujourd’hui qu’il y a ici un cas de concurrence déloyale et de pratique anticoncurrentielle. Ceci est la première étape vers une sanction probable de la Commission avec deux volets. Le premier est une amende dont le montant pourrait s’élever à 10 % des revenus d’Apple. Reste à savoir quelle sera la fourchette servira à calculer ces 10 % : le chiffre d’affaires du groupe, de l’ensemble des services dématérialisés, seulement de l’App Store ou seulement d’Apple Music. Le montant maximum pourrait atteindre 27 milliards d'euros.
Un problème délicat parce qu'Apple est propriétaire de l'App Store et d'Apple Music
Le second volet sera le plus délicat. La commission devra donner des directives à Apple pour permettre à Spotify et aux autres services de profiter d’une concurrence plus juste. Cependant, Apple est à la fois concurrent, avec Apple Music, et fournisseur de Spotify avec l'App Store. Et ce dernier coûte cher à la firme : serveurs, équipes de validation des applications, environnement et système de paiement sécurisés, outils promotionnels, etc. La taxe Apple sert à financer cela.
Il paraît évident que la Commission ne peut pas demander à Apple de supprimer cette source de revenus. Et il n'est pas possible de soumettre Apple Music à la taxe Apple. En revanche, elle peut imposer l’autorisation du choix du système de paiement (ou, du moins, la possibilité de faire la promotion d’un système de paiement alternatif). Ce qui ouvrirait une brèche dans laquelle s’engouffreront les applications musicales, mais aussi toutes les applications se rémunérant sur un abonnement.
Cette affaire rappelle bien évidemment l’autre affaire judiciaire de l’App Store : celle qui oppose la firme de Cupertino à Epic Games, suite à l’éviction de Fortnite de la boutique applicative. Le fond du problème reste le même : Epic Games ne veut pas payer la Taxe Apple sur tous les achats intégrés que les joueurs iOS pourraient vouloir s’offrir dans le jeu. Il y a cependant deux différences. La première est qu’Apple ne propose pas un jeu concurrent. Ce n’est donc pas un cas de concurrence déloyale. La seconde est qu’Epic Games a tenté d’intégrer un système de paiement alternatif dans la version iOS de Fortnite sans autorisation de la part d’Apple. La justice a confirmé qu'Apple a eu raison de supprimer Fortnite de l'App Store. Mais cela a ouvert une enquête aux Etats-Unis.
Source : The Verge