Ce jeu Ukrainien aurait dû être l’un des plus gros échecs du jeu vidéo, mais il est devenu un RPG culte. Retour sur l’incroyable histoire de STALKER

26 avril 1986. Il est 1 h 23 du matin en Ukraine et la centrale de Tchernobyl est sur le point de devenir l’épicentre médiatique de la planète. Le réacteur numéro 4 vient d’exploser, propulsant dans le ciel un nuage radioactif qui va se propager sur toute l’Europe. Alors que le monde retient son souffle et que les mensonges des autorités se multiplient dans certains pays, ce traumatisme laissera une trace indélébile dans l’histoire de l’humanité, au point de faire naître des centaines d’œuvres inspirées de la catastrophe. S.T.A.L.K.E.R. est l’une d’entre elles et sa conception fut sacrément… épique.

Faisant partie de l’Oblast de Kiev, Prypiat est une ville figée dans son époque. Distante d’environ 5 kilomètres de la centrale nucléaire, elle a été construite pour accueillir les milliers d’employés qui se rendaient à Tchernobyl chaque jour. Pendant une dizaine d’années, cette cité a prospéré jusqu’à dépasser les 21 000 habitants en 1979. Cette même année, le stade de football Avanhard a été inauguré pour accueillir les matchs de l’équipe locale, le FC Stroitel Prypiat. Évacuée en urgence après la catastrophe, elle est devenue le symbole de la fin de l’ère soviétique et c’est précisément ce qui a inspiré le studio ukrainien GSC Game World. Alors que S.T.A.L.K.E.R. 2 sortira le 20 novembre 2024, nous avons décidé de vous présenter les coulisses du premier épisode, l’un des plus grands vaporwares de l’histoire du jeu vidéo.

De la Crimée à Tchernobyl

À l’image d’un Duke Nukem Forever ou de Beyond Good & Evil 2, un vaporware symbolise un logiciel ou un matériel informatique qui est annoncé de longue date, mais qui est sans cesse repoussé. Ainsi, et bien que S.TA.L.K.E.R. soit sorti en 2007, les prémices de sa conception remontent à… 2001. C’est précisément au mois de novembre, il y a vingt-trois ans, que le très prometteur S.T.A.L.K.E.R. : Oblivion Lost a été annoncé. Prévu pour l’été 2003, il est imaginé comme un catalyseur des légendes qui circulent sur l’accident de la centrale. « Le système soviétique étant scellé à l’époque, de nombreux faits ont été gardés secrets, de sorte que même les objectifs ou les évènements les plus anodins ont donné lieu à des rumeurs et des légendes incroyables. » confie le producteur et co-réalisateur du jeu. « C’est en vivant au milieu de tout ça que nous avons eu l’idée de la Zone et des S.t.a.l.k.e.r.s qui y vivent. »

Le tout premier prototype de Stalker

Alors que le développement est en cours, l’équipe est confrontée à de nombreux problèmes. En dépit d’un moteur X Ray particulièrement efficace, le prototype peine à se trouver une véritable identité. Temple aztèque, montagnes et forêts en Crimée… l’idée d’une zone d’exclusion de Tchernobyl se fait de plus en plus pressante, mais comment faire pour que ce futur FPS diffuse sa propre atmosphère ? Un tournant majeur a finalement lieu lorsque les réalisateurs de S.T.A.L.K.E.R. : Oblivion Lost découvrent un documentaire sur la catastrophe de Tchernobyl. Le responsable du studio, Sergey Grigorovich, choisit de supprimer l’environnement de Crimée pour le remplacer par quelque chose qui parle à tout le monde. Face au refus de l’équipe, il décide de prendre le problème à bras le corps et d’emmener avec lui quelques développeurs sur les lieux de la catastrophe. Lors de la visite de Prypiat et de la centrale de Tchernobyl, la surprise est telle pour le staff qu’elle fait office d’électrochoc.

La ville fantôme de Prypiat

Désormais, tout le monde est d’accord pour faire de S.T.A.L.K.E.R. : Oblivion Lost un jeu se déroulant dans la Zone d’exclusion de Tchernobyl. Le premier résultat de cette volte-face se matérialise sous les yeux des visiteurs lors de l’E3, le plus grand salon de jeu vidéo au monde.  Nous sommes alors au printemps 2002 et Oblivion Lost s’avère très prometteur. GSC Game World s’associe peu de temps après à NVIDIA pour profiter des dernières avancées en matière de cartes graphiques.

L'ombre de Tchernobyl

Les mois passent, le jeu évolue et il est désormais sous licence THQ. Mais les journalistes commencent à s’interroger sur le planning de sortie. Et pour cause, S.T.A.L.K.E.R. : Oblivion Lost n’est en réalité qu’un ensemble de niveaux dispersés et beaucoup ne voit qu’en lui une simple vitrine technologique. En l’état, il n’y a pas vraiment de jeu, si bien que des dents commencent à grincer à la seule évocation d’Oblivion Lost. D’un simple FPS, le projet a évolué pour devenir gigantesque avec de grandes cartes, des créatures de différentes formes, des véhicules à conduire librement… mais sans ligne directrice claire. En 2004, sous l’impulsion de l’éditeur THQ, le jeu est renommé S.T.A.L.K.E.R. : Shadow of Tchernobyl. Il est alors prévu pour fin 2004. Seulement voilà…

Très impressionnant visuellement et doté d’un système A-Life qui régit l’écosystème de la zone d’exclusion (à commencer par le comportement des mutants), S.T.A.L.K.E.R. : Shadow of Tchernobyl n’en demeure pas moins couvert de bugs, l’IA est défaillante et il reste énormément de choses à corriger et à améliorer. Devant l’ampleur du travail restant, THQ accepte de reporter le jeu jusqu’au au premier trimestre 2005. Oui, encore un report. Pour promouvoir le jeu, l’équipe de développement accepte de présenter le titre et ses coulisses dans le magazine russe Igromania et les intentions deviennent de plus ambitieuses. D’un FPS classique, le jeu est désormais teinté d’enquêtes où le joueur (qui peut jouer avec une caméra à la première ou troisième personne) est épaulé par des PNJ qui réagissent en temps réel aux évènements. Si la partie FPS est convaincante, il en est tout autre du système A-Life qui fait complètement dérailler le jeu.

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À l’automne 2004, alors que les développeurs travaillent depuis des années, on leur incombe de revoir complètement le concept original de la Zone. En voulant créer une sorte d’écosystème numérique dans un monde ouvert cohérent, le jeu s’est perdu. Sous pression, l’équipe va alors vivre une année 2005 éreintante, la faute à une œuvre qui doit être totalement remaniée pour convenir à un scénario plus linéaire et une progression plus standardisée par rapport aux normes du marché. S.T.A.L.K.E.R. : Shadow of Tchernobyl va peu à peu perdre de sa substance, sans parler du gap visuel qui était le sien. Dans le staff, la motivation est au ras des pâquerettes et nombreux sont ceux à se dire que le titre ne sortira jamais. Alors que l’entreprise refuse d’augmenter les salaires, plusieurs salariés décident de démissionner pour fonder 4A Games, futur studio à l’’origine de la série Metro. C’est la débandade ! Dans les intéressés, il y a même l’homme dépêché par THQ pour sauver la situation initiale… Preuve que la rupture n’était vraiment pas loin.

Le dénouement, enfin

Finalement, en mars 2007, soit plus de six ans après son annonce, S.T.A.L.K.E.R. : Shadow of Tchernobyl est lancé sur le marché mondial. Contre vents et tempêtes, et répondant aux attentes du moment. Son développement fut extrêmement chaotique et sans les finances de THQ, ce soft n’aurait jamais vu le jour. Nul doute qu’au moment d’attaquer la suite, le fameux S.T.A.L.K.E.R. 2, les développeurs de l’original se sont remémorés de douloureux souvenirs. Mais après de nombreuses années d’embuches (qui pourront fait l’objet d’un prochain article), il est enfin prêt à rejoindre nos consoles et PC. Intitulé Heart of Tchernobyl, le jeu nous invite une nouvelle fois à rejoindre la Zone. L’atmosphère s’annonce dingue, alors on croise les doigts pour que le résultat soit à la hauteur de l’attente.

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