Ce jeu vidéo un peu nul a quand même eu le droit à une suite et elle a changé à tout jamais le visage de l’industrie
11 avril 1992, après des mois d’attente, la Super Nintendo débarque en France et arrive avec un titre d’exception : Street Fighter 2. Ce jeu de combat, qui révolutionnera l’univers de la baston sur console, revient pourtant de loin. De très loin… On vous raconte son histoire fascinante.
Dans les années 1980, le jeu vidéo n’en est qu’à ses balbutiements et les créateurs cherchent à innover en apprenant à exploiter les différentes technologies qui s’offrent à eux. À cette époque, malgré l’arrivée des consoles de salon et de la micro-informatique, les salles d’arcade demeurent l’endroit incontournable pour vivre des expériences incroyables. Au Japon, plusieurs éditeurs se livrent une bataille sans merci et chacun cherche la faille pouvant mettre à genoux la concurrence. Alors que les jeux de tirs, qu’on appelle shoot’em up, ont pignon sur rue, des compagnies se tournent vers d’autres genres.
C’est le cas de Capcom et de l’artiste Takashi Nishiyama. « Un jour, chez Capcom, nous avions une réunion entre les équipes de développement et ceux du marketing. Elle a duré au moins deux heures et j’avais du mal à me concentrer en tant que créatif. J’étais dans la lune et quand j’ai retrouvé mes esprits, j’avais gribouillé quelques idées et croquis sur un papier. C’est à ce moment précis que l’idée de Street Fighter m’est venue. » Alors qu’il est en train de rêvasser, il se met à dessiner deux personnages en train de combattre en face-à-face, avec une interface de jeux vidéo en haut de la page. Yoshiki Okamoto, producteur de Capcom, découvre le croquis et trouve le concept très intéressant. C'est la naissance d'une licence culte du média.
Le maître du Kung Fu
Takashi Nishiyama n’est pas inexpérimenté, bien au contraire. Il est en effet à l’origine de Kung Fu Master, un célèbre jeu de combat qu’il a développé lors de son passage chez l’éditeur Irem. Basé sur les films d’arts martiaux de Hong Kong, le titre a remporté un immense succès dans les salles d’arcade. Adapté sur consoles de jeu, il s’agit aujourd’hui d’un très grand classique du jeu vidéo. En voulant transposer l’univers de Kung Fu Master (où le héros progresse en affrontant des vagues d’ennemis), dans un jeu de combat en face-à-face, Nishiyama ne le savait pas encore, mais il s’apprêtait à poser les fondations d’un jeu révolutionnaire.
Muni de ce croquis, l’intéressé développe un document plus détaillé et obtient le feu vert de sa direction. Il reçoit alors le soutien d’Hiroshi Matsumoto, un homme qui va avoir une influence importante sur la création de Street Fighter. Le duo se met alors à plancher sur les personnages, sur les mouvements à introduire, mais aussi, et c’est peu commun, sur le scénario ! Ce que souhaite Nishiyama, c’est apporter de la personnalité à chaque combat en indiquant le type d’art martiaux pratiqué (boxe, kickboxing, shorinji kempo, etc.), les liens de parenté ou encore des détails sur leur vie de tous les jours. Pour donner de l’ampleur au jeu, Nishiyama va même jusqu’à s’inspirer du film Opération Dragon, l’œuvre posthume de Bruce Lee.
Du brouillon…
En imaginant des combats de personnages qui utilisent des arts martiaux très différents, Nishiyama et Matsumoto développent une idée qui sera reprise dans de nombreux médias : jeux vidéo, films, bandes dessinées, romans… En attendant, il est avant tout question d’un jeu et avoir un concept avec son cahier des charges ne suffit pas ! Nishiyama a encore une idée qui va faire mouche : imaginer des coups spéciaux en les exagérant par rapport à la réalité. Boule de feu, méga uppercut, saut tournoyant… le créateur japonais ne se refuse rien ! « L’idée du Hadoken (attaque spéciale qui permet de projeter une boule d’énergie) vient d’un anime. », confie Takashi Nishiyama. « Je me suis inspiré d’Albator et des missiles qui devaient être chargés avant d’être envoyés dans l’espace pour détruire les ennemis. » Vous ne rêvez pas, c’est bel et bien en s’imprégnant d’Albator, le Corsaire de l’Espace, que le concepteur japonais a imaginé cette attaque « boule de feu », que le personnage devait charger à la manière d’un Kaméhaméha de Dragon Ball. On en apprend tous les jours !
À sa sortie, le bien-nommé Street Fighter est malheureusement à des années-lumière des souhaits de son créateur. En raison d’un budget revu à la baisse, tout le casting de personnages jouables a disparu ! Les joueurs peuvent seulement incarner Ryu et Ken ! En plus de cela, l’animation subit des contrecoups étranges, la faute à un programmeur dont le métier… était ingénieur système et qui ne bossait pas pour Capcom, mais pour une société externe ! Takashi Nishiyama s’est littéralement arraché les cheveux pour lui donner les conseils nécessaires à la création d’une bonne animation, mais cela n’a pas suffi. Très moyen, pour ne pas dire mauvais, Street Fighter va peu à peu disparaître dans l’indifférence générale. Mais ce n’est que partie remise…
À la fin des années 1980, voyant que les jeux de tir perdent de leur superbe auprès du public, Capcom décide de surfer sur le succès d’œuvres comme Double Dragon. Jouables en coopération, ils rapportent énormément d’argent et l’éditeur japonais veut sa part du gâteau. Un projet de jeu de combat débute, mais s’arrête subitement lorsqu’une pénurie de puces (liées à la mémoire des cartes d’arcade électroniques) survient. Dans un premier temps, en s’inspirant de la concurrence, Capcom développe le jeu Final Fight, un jeu de combat où les héros progressent dans des décors en tapant sur tout ce qui bouge. À l’origine, Final Fight se nommait Street Fighter 89 car l’éditeur japonais voulait une suite au premier Street Fighter. Une fois celui-ci terminé (et le problème des puces de mémoire résolu), ils ont décidé de la réaliser pour de bon.
… au chef d'œuvre
Après avoir joué des centaines d’heures à l’original, les développeurs ont dressé tous les défauts de Street Fighter. Pour gommer le problème du manque de personnages, ils ont choisi, dès le départ, de s’appuyer sur 12 personnages (8 combattants et 4 boss). Pour gagner du temps et faire un clin d’œil au passé, ils ont récupéré et modernisé Ryu et Ken avant d’intégrer le lutteur Zangief, la créature verdâtre Blanka et le bondissant Vega. La création des combattants n’a pas été une mince affaire (les artistes ne dormaient pas beaucoup et il y avait une rivalité naissante au sein de la même équipe), mais le plus gros du travail s’est porté sur le plaisir de jeu, l’ambiance musicale et la réalisation visuelle.
Conçu par une équipe d’une quarantaine de personnes (dont la moitié pour les graphismes), Street Fighter II a profité d’un budget considérable et de puces mémoire bien plus performantes. Exceptionnel en arcade, le jeu va être adapté sur Super Nintendo en 1992 et amener « l’arcade à la maison » ! Véritable phénomène de société, il a demandé un effort immense, mais toute l’équipe de Capcom ne visait qu’une chose : la perfection. Kazunori Yamada, compositeur, se souvient : « La Super Nintendo avait une capacité limitée. Donc, s’il y avait un son « Aaaaaah », on ne pouvait pas mettre la voix entière. À la place, nous faisions un petit son « ah » et nous le répétions « ah », « ah », « ah ». Cela donnait le même son sans le fichier complet. Nous avons dû trouver des astuces de ce genre pour pouvoir intégrer tous les éléments audio… ».
Proposé en pack avec la Super Nintendo, Street Fighter II fut une locomotive pour les ventes de la console et demeure une œuvre emblématique de son époque. Accessible aux novices et incroyablement profond pour les puristes, il a littéralement bouleversé l’univers du jeu vidéo. Dans vingt ans, on en parlera encore. Et pourtant, au départ, ce n’était vraiment pas gagné… Hadôken !