Huawei risque-t-il de disparaitre, privé d’Android et d’ARM ?
Huawei est depuis la semaine dernière la cible d'une avalanche de mauvaises nouvelles : exclue du marché américain par décret, elle n'a plus le droit d'utiliser de technologies américaines. Google ne pourra plus lui donner accès au Play Store et à ses applications. Certaines entreprises étrangères comme ARM ont également décidé de mettre fin à leur relations avec Huawei. La firme de Ren Zhengfei pourra-t-elle survivre à cette volée de bois vert ?
Un vent glacial souffle depuis quelques semaines sur les relations entre les Etats-Unis et la Chine. Washington a produit une série d'annonces visant à établir un rapport de force direct et brutal avec Pékin. Après une hausse des droits de douane à 25% sur plusieurs catégories de produits, en particulier technologiques, la Maison Blanche vient de signer un nouveau décret. Celui-ci donne au gouvernement américain le pouvoir d'interdire aux entreprises américaines d'acheter des équipements fabriqués par des entreprises de télécommunication étrangères au nom de l'urgence nationale.
Dans la foulée, le secrétaire d'Etat au commerce a mis en place une “liste d'entités” – des entreprises, centres de recherche, gouvernements et individus – qui doivent obligatoirement obtenir une licence. Celle-ci est la condition sine qua none de l'export, re-export, et le transfert de certains biens et services. Au cours du weekend, le groupe chinois Huawei Technologies a été ajouté à cette liste, provoquant son exclusion de facto du marché américain et des biens et services proposés par ses entreprises. Dans la foulée, Google a dû retirer sa licence à Huawei qui ne pourra plus préinstaller Google Play Store, et ses applications G Suite.
Des entreprises pourtant basées à l'étranger, comme Infineon et maintenant ARM, ont décidé de prendre des décisions similaires – vraisemblablement pour protéger leur accès au marché américain. Huawei se retrouve ainsi plus menacé que jamais.
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Pourquoi Donald Trump s'en prend à Huawei
Plusieurs facteurs expliquent ce qui arrive en ce moment à Huawei :
1. La vision musclée des relations internationales de l'administration de Donald Trump : le président des Etats-Unis est connu pour enchainer les mesures choc et imprévisibles, souvent dans l'objectif de pousser ses adversaires à renégocier des accords ou des traités. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a fait de la balance commerciale des Etats-Unis un axiome politique incontournable.
Selon lui, le déficit de la balance commerciale américaine profite beaucoup trop à la Chine, et il aimerait pousser Pékin à adopter un régiment de mesures obligeant le pays à acheter davantage de produits et matières premières américaines. Mais aussi à pousser Apple et les autres grandes firmes américaines à relocaliser leurs unités de production aux Etats-Unis – avec l'objectif escompté de créer des emplois. Histoire de lever toute “confusion”, Donald Trump a récemment déclaré qu'il ne “laisserait jamais la Chine devenir numéro 1” sous son mandat.
2. Les liens supposés entre Huawei et l'Etat chinois : dès 2012, un rapport du congrès pointe des liens entre Huawei, ZTE et l'Etat chinois – et fait de ces firmes des “menaces potentielles pour la sécurité nationale”. Le rapport s'alarmait également du fait que Huawei refuse de dévoiler complètement le passé militaire de Ren Zhengfei, le patron de la firme. Depuis, Huawei – mais aussi d'autres entreprises étrangères, essentiellement chinoises – sont dans le viseur des autorités. Un rapport de Bloomberg, pourtant depuis démenti, assurait que des puces espion avaient même été retrouvées dans certains équipements réseau de la firme.
3. L'expertise de Huawei en matière de 5G (et ses ambitions planétaires) : on vous le disait, Huawei a acquis une expertise réelle en matière de réseau 5G. Or ce réseau du futur a une dimension stratégique. En plus de permettre aux smartphones de se connecter plus vite à internet, il est appelé à connecter des milliards d'objets connectés, aussi bien chez les particuliers que dans les entreprises. C'est aussi sur le réseau 5G que pourrait s'appuyer les voitures autonomes de demain. La crainte, c'est donc qu'une ou plusieurs entreprises liée à un gouvernement ne contrôle ces réseaux – et dispose ainsi d'un avantage tactique majeur sur le reste du monde, aussi bien en temps de paix qu'en cas de conflit.
4. Des faits avérés d'espionnage industriel : une série d'emails internes publiés par le site Engadget ont donné la preuve que la firme s'est déjà adonnée à de l'espionnage industriel sur le territoire américain. Plus récemment, les Pays-Bas ont à leur tour accusé Huawei d'espionnage industriel.
Les menaces qui pèsent sur Huawei
Huawei est menacé dans plusieurs domaines. Celui auquel on pense en premier, c'est celui des smartphones, tablettes et wearables. Et pour cause : les dernières annonces venues des Etats-Unis menacent directement les ventes du 2e constructeur de smartphones au monde devant Apple – qui profite d'une phase d'expansion à l'international, avec une croissance à deux chiffres.
Concrètement Huawei ne pourra plus pré-installer le Google Play Store ainsi que les applications de la suite Google sur ses smartphones. Il ne pourra plus collaborer avec Google pour accélérer la livraison des mises à jour, et des patches de sécurité. En bref, Huawei ne pourra plus qu'adapter le code source d'AOSP seul – sans les services de Google qui sont une évidence sur une écrasante majorité de smartphones.
Un autre problème, c'est la fourniture de composants. Les smartphones Huawei actuels comme le P30 Pro incluent de nombreux composants issus d'entreprises américaines. De la mémoire flash Micron, aux puces réseau Qorvo et Skyworks en passant par le verre de protection Corning Gorilla 6. Pour pallier ses besoins immédiats, Huawei s'est constitué des stocks de composants. Mais à court terme, il doit s'atteler à. trouver des alternatives – qui pourraient impacter ses prochains lancements.
Et puis il y a cette annonce, en particulier, qui risque d'être très compliquée à surmonter : ARM a en effet décidé de couper les ponts avec Huawei (et sa filiale HiSilicon). C'est potentiellement très grave, car les technologies ARM sont actuellement incontournables. Il faut forcément acquérir des licences pour construire l'architecture, ou les coeurs des puces Kirin – et ce n'est désormais de facto plus possible.
La division mobile n'est pas la seule à se trouver criblée de plomb. La partie équipement réseau – qui dispose d'une avance en 5G – est également visée par la diplomatie américaine qui oeuvre ces derniers mois à provoquer l'exclusion du constructeur ailleurs dans le monde. On pense également à la division ordinateurs qui pourrait se voir privée de licences Windows et de CPU Intel.
Quelles sorties de crise ?
Huawei est la grande victime collatérale de ce round américain – dans une guerre commerciale qui oppose les Etats-Unis à la Chine. Difficile de ne pas voir que les mesures qui visent Huawei – champion dans son pays – sont en réalité surtout un message à destination du gouvernement chinois. La première chose qui pourrait donc éviter que la situation n'empire, c'est que les tensions entre Pékin et Washington s'apaisent.
Contrairement aux apparences, c'est plutôt crédible. Les Etats-Unis et la Chine négocient un accord commercial – et ils sont, d'après les dernières informations dont on dispose, plutôt proches d'un deal. Le vrai point d'achoppement était, ces dernières semaines, que la Chine refuse de traduire dans ses lois certains engagements de l'accord, notamment en matière de propriété intellectuelle et de transferts technologiques.
Si les acteurs de ce conflit ne parvenaient pas à surmonter leurs divergences, la situation pourrait continuer à s'envenimer : la Chine pourrait répondre par des mesures visant les entreprises technologiques américaines. Par exemple, en restreignant l'exportation de terres rares indispensables à la consommation de masse des objets électroniques – ou en compliquant les activités d'entreprises comme Apple. Des mesures qui s'ajouteraient à la hausse de barrières douanières à l'import de certains produits américains – représailles déjà décidées par l'administration Xi Jinping.
Pour Huawei, ce serait le pire des scénarios, puisqu'il devrait composer durablement avec une mise à l'écart du coeur de l'écosystème Android, mais aussi de SoC les plus performants du marché. Le risque, c'est de ne plus pouvoir, à court et moyen terme, que proposer des produits technologiquement inférieurs à ceux de ses concurrents. On sait en effet que la firme développe son alternative à Android – bien que tout semble indiquer qu'il s'agit d'un simple fork d'AOSP.
Par ailleurs, trouver des alternatives aux composants américains sera parfois compliqué. Bien sûr, des alternatives existent, pour la mémoire, l'écran, et quantité d'autres composants. Mais l'on parle de volumes énormes, et la question de la sécurisation de l'approvisionnement se pose également. Et il reste le problème du SoC : développer une alternative à l'architecture ARM est incertain. D'abord parce que ce n'est pas si simple, et que parvenir à un produit commercialisable représentera forcément beaucoup de temps et d'investissements. Ensuite, parce que cela ne suffira vraisemblablement pas – et qu'il faudra que Huawei parvienne, en sus, à populariser son architecture sous peine de se voir boudé par les développeurs. À un horizon potentiellement lointain.
On vous propose de poursuivre la conversation dans les commentaires : comment voyez-vous la situation ? Pensez-vous que ce nouveau chapitre dans les tensions entre les Etats-Unis et la Chine sont simplement un nouvel effet de manche de Trump afin de mettre son adversaire sous pression, ou que Huawei risque réellement son avenir ?