La PlayStation fête ses 30 ans et son histoire est folle. On vous raconte comment est née cette console de légende

La PlayStation a transformé à jamais l’histoire du jeu vidéo, et même de la pop culture. Pourtant, sa sortie ne laissait pas supposer un destin hors du commun. Il y a 30 ans, le 3 décembre 1994, était commercialisée au Japon la toute première console de Sony, un véritable phénomène de société qui a marqué toute une génération.

Fin 1994, à l’approche des fêtes de fin d’année, si vous deviez offrir un jeu vidéo pour Noël, votre choix avait de grandes chances de se porter sur Donkey Kong Country, fraîchement paru sur Super Nintendo. Au Japon, toujours en avance sur l’Occident dans cette industrie, une révolution que l’on n’imaginait pas encore aussi massive avait d’ores et déjà les faveurs des joueurs : une console 32-bits symbolisait une nouvelle génération de machines, mais ce n’était pas la Saturn pourtant sortie le 22 novembre. Au grand dam de SEGA, il s’agissait de la première console d’un tout nouvel acteur sur le marché des consoles, qui allait tout chambouler : la PlayStation de Sony.

Un divorce riche de conséquences

C’est au tout début des années 1990 que se tient ce que l’on pourrait qualifier de véritable première guerre des consoles. Entre SEGA et Nintendo a lieu un véritable conflit ouvert, quelque peu provoqué par la branche américaine des créateurs de Sonic. À cette époque, les deux consoles les plus populaires du marché sont la Mega Drive et la Super Nintendo, cette dernière embarquant en elle une puce audio révolutionnaire appelée SPC700. Un tout petit circuit imprimé fabriqué par… Sony, et par un certain Ken Kutaragi. Cet amoureux de jeux vidéo depuis la Famicom, développe alors cette petite merveille sans l’accord de son employeur. Il garde miraculeusement son emploi grâce au soutien du président de Sony, convaincu de la qualité de son travail et de son apport à la firme.

Alors connu pour avoir innové dans le domaine de l’audiovisuel avec le Walkman, le CD ainsi que tout un tas d’appareils électroniques liés à la vidéo, Sony n’est en effet qu’un simple partenaire pour les constructeurs de jeux vidéo au début des années 1990. Éditeur au succès modéré, il ne se présente a priori pas comme un potentiel rival aux deux géants que sont Nintendo et SEGA, plutôt concurrencés par des sociétés comme NEC, SNK ou encore Philips. Ce dernier, co-concepteur du CD avec Sony, s’était illustré dans le cadre d’une collaboration avec Nintendo sur sa tristement célèbre CD-I, ayant débouché sur des jeux Mario et Zelda connus pour leur piètre qualité.

Si l’on vous en parle, c’est parce que l’histoire de la première PlayStation est indirectement liée à cette machine que l’on préfère oublier. Lors du CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas en 1991 se produisit une incroyable trahison dont l’issue est davantage connue que ses origines. Sony annonce fièrement une collaboration avec Nintendo pour un projet de périphérique destiné à la toute jeune Super Famicom, lisant les CD-ROM, mais les termes de l’accord ne convenaient pas au légendaire président de Nintendo, Hiroshi Yamauchi. Un autre contrat avait entre-temps été signé entre Nintendo et Philips (une compagnie néerlandaise, on le rappelle), dont les tenants et aboutissants étaient bien plus confortables pour la firme de Kyōto… sans même prendre le temps d’en informer Sony. Une manière bien indélicate de se conduire envers une autre société japonaise, qui plus est au détriment d’une européenne ! Cette situation provoqua un certain émoi dans le milieu des affaires au Japon, mais Sony n’allait pas en rester là.

Saturn mal

Dans un premier temps, Sony se rapproche alors du rival SEGA, mais ce dernier prépare déjà sa propre extension lisant les CD-ROM, le Mega-CD, et n’est pas intéressé. Plutôt que de se retourner contre Nintendo, l’inventeur du Walkman préfère capitaliser sur tout le travail effectué depuis 1988, et la signature de l’accord pour le projet “SNES-CD”. Ken Kutaragi, à la tête du projet déjà bien entamé, fit bifurquer ce dernier en 1992 vers la conception d’une machine intégralement créée et commercialisée par Sony, afin de lancer la marque sur le marché des consoles. Par chance pour Sony, Nintendo ne parvint pas à empêcher Sony d’utiliser le nom “PlayStation” dont il était convaincu de détenir les droits. Les deux sociétés ont tenté de trouver un accord pour que la machine de Sony dispose d’un lecteur de cartouches lisant les jeux Super Nintendo, mais en vain : la PlayStation allait faire son chemin toute seule, sans Nintendo ni SEGA.

Le projet SNES-CD étant abandonné et Nintendo s’enlisant avec Philips dans une collaboration que l’on qualifie poliment de ratée, Sony s’oriente vers le futur : la génération des consoles 32-bits. La PlayStation s’apprête à jouer crânement sa chance face à SEGA, dont la nouvelle machine pointe le bout de son nez, et peut-être un jour Nintendo, qui prend beaucoup de retard avec le développement de celle qui deviendra la Nintendo 64. Les créateurs de Sonic frappent les premiers, avec une Saturn distribuée dès le 22 novembre 1994 au Japon. Mais Sony est prêt aussi, et c’est le 3 décembre, soit même pas deux semaines plus tard, que la PlayStation vient au monde, et SEGA ne s’en méfie absolument pas.

Concrètement, rien ne donne tort au concepteur de la Saturn, qui connaît un bon démarrage dans ce qui est le seul pays où elle marchera bien. Convaincu qu’il a pris de l’avance sur Nintendo, qu’il estime en retard en continuant de produire des Super Nintendo, SEGA ne s’est pas du tout préparé à son nouveau concurrent. Pendant ce temps, la PlayStation connaît des débuts convaincants au Japon, mais c’est lors de sa conquête du territoire américain que la première console de Sony va se faire un nom, et changer la face de toute une industrie.

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La guerre l’E3 a eu lieu

En mai 1995 est inauguré à Los Angeles un nouvel événement visant à rassembler les constructeurs et éditeurs de jeux vidéo sous la bannière d’un salon dédié exclusivement à ce type de production : l’Electronic Entertainment Expo, surnommé “E3”. À cette occasion, SEGA entend bien créer la sensation sur un territoire qu’il a réussi à conquérir avec la Genesis (nom américain de la Mega Drive). Le 11 mai 1995, le président de SEGA of America annonce le tarif de la Saturn aux États-Unis, et surtout, prend tout le monde de court avec une mise à disposition immédiate en magasin. Une énorme surprise, mais surtout… une énorme erreur. Si Toys ‘R’ Us est au courant, des géants de la distribution comme Best Buy ou Wal-Mart ignoraient tout de l’opération.

Sony dispose alors d’un boulevard pour créer l’événement que SEGA espérait. En réponse à l’annonce de son confrère, un certain Steve Race monte sur scène, invité pour ce que le président de Sony of America décrit comme une “brève présentation”. C’est le cas de le dire : il s’approche du micro, pose des notes qu’il n’utilisera même pas, et prononce les mots “two nine nine”, à savoir les trois chiffres du prix de lancement de la PlayStation sur le continent américain. 299 dollars, soit 100 de moins que la Saturn. Un coup de génie marketing, ovationné par l’assemblée, considéré par beaucoup comme “le jour où Sony a tué SEGA”. L’Amérique est conquise, et la PlayStation prend son envol médiatique en Occident.

Ne sous-estimez pas la puissance de la PlayStation

Sans grande surprise, le succès est immédiatement au rendez-vous sur le continent américain, avec un line-up de démarrage varié et de qualité. Au lancement le 9 septembre 1995, on retrouve notamment les tous premiers opus de licences parties pour connaître presque toutes les générations de consoles PlayStation : Ridge Racer, Wipeout, Rayman… des titres qui font également partie du catalogue européen trois semaines plus tard. Le lecteur CD audio intégré constitue également une valeur ajoutée non négligeable à cette “station de jeu” aux allures de plate-forme multimédia du futur à coût modique. La console de Sony est la vedette de cette rentrée 1995, et les joueurs semblent d’ores et déjà avoir effacé SEGA et la Saturn de leurs mémoires. Quant à l’autre concurrent, il est en retard, même si sa Super Nintendo connaît une fin de vie remplie de hits d’anthologie, et que la firme n’hésite pas à les comparer à juste titre avec les jeux de sa rivale deux fois plus puissante. La Nintendo 64, qui comment en outre l’erreur fatale de snober le support CD si cher à Sony, n’arrivera pas avant encore un an et demi en Europe, et même deux ans en France…

Du côté de l’Hexagone, le succès est évidemment au rendez-vous, notamment grâce à un tarif très attirant de 2 099 francs (comparables à plus ou moins 500€ en tenant compte de l’inflation), inférieur de 1 200 francs (!) au prix de lancement de la Saturn à peine trois mois plus tôt. Le positionnement marketing de Sony est agressif, et cela se retranscrit surtout dans ses publicités qui ont marqué toute une époque. Un “comité anti-PlayStation” fabriqué de toutes pièces pour faire parler de la console est mis en scène dans des spots de pub d’une efficacité redoutable, et Sony organise même de fausses manifestations contre sa propre machine dans les rues françaises. Si cela peut sembler risqué de prime abord, ces publicités ont quelque peu pour but de tourner en dérision les détracteurs du jeu vidéo qui tentent de dissuader les parents d’en offrir à leurs enfants.

Sans grande surprise, le résultat est exactement celui escompté : la PlayStation est un immense succès en France, dès son lancement. Elle réussira à atteindre le cap des 5 millions d’unités vendues dans l’Hexagone (chiffre arrêté en 2000), un record absolu à l’époque. Les adolescents et jeunes adultes, public visé par Sony, comprennent vite qu’il y a un potentiel incroyable dans cette machine beaucoup moins chère qu’un micro-ordinateur, qui fait tourner des titres de qualité comparable. Le carton se confirme dès l’année suivante avec l’arrivée de nouvelles licences dont la réussite est immédiate et qui connaîtront de multiples épisodes jusqu’à la fin de la décennie, comme l’exclusivité Crash Bandicoot ou les nouvelles références en leur genre que sont Tomb Raider et Resident Evil. Par la suite, la PlayStation va définitivement asseoir une domination sans précédent dans l’histoire (alors encore jeune) du jeu vidéo, bien aidée en cela par d’autres titres de légende tout au long de sa carrière, tels Metal Gear Solid, Final Fantasy VII ou Gran Turismo. Ces deux derniers franchissent même la barre des 10 millions de ventes chacun, la simulation automobile de Polyphony Digital atteignant le total spectaculaire de 844 000 exemplaires vendus en France. Un début fracassant pour cette licence, intimement lié à celui de la PlayStation.

Sortir de la Playhistoire

Durant ses cinq années d’exploitation en tant que seule console du constructeur présent sur le marché, Sony ne commet pas vraiment d’erreur avec la PlayStation. Chaque choix stratégique (exclusivités de studios “maison”, gamme Platinum, création de la DualShock…) est intelligemment pensé et exécuté avec efficacité, et les hits s’enchaînent. De Konami à Activision en passant par Squaresoft, EA, Capcom ou Ubi Soft, les principaux éditeurs japonais et américains soutiennent la machine plus que jamais. La PlayStation profite alors d’un cercle vertueux dont sont de facto exclus SEGA et surtout Nintendo. Certes, l’échec de la Nintendo 64 est à relativiser en comparaison de la Saturn, dont les chiffres contribuent à creuser la tombe de son constructeur, mais la firme kyotoïte est à la peine comme jamais elle ne l’a été sur le marché des consoles de salon. Si l’on excepte les deux immenses game changers que furent Super Mario 64 (1996) et The Legend of Zelda: Ocarina of Time (1998), Nintendo a beaucoup plus de jeux à envier à Sony que l’inverse.

 

 

À cette époque pourtant, le plus ancien constructeur de consoles encore en activité est en état de grâce sur le marché des consoles portables. Nintendo pulvérise alors un peu plus toutes les semaines le record de ventes d’une machine avec sa Game Boy à la durée de vie infinie, grâce entre autres au succès de Pokémon qui lui a donné une seconde jeunesse. Cependant, Sony n’est pas en reste : à cette époque, la seule console de salon de l’histoire à avoir franchi la barrière des 50 millions d’unités vendues dans le monde est la NES. Un cap que la PlayStation va faire voler en éclats et même multiplier par deux, n’étant battue que de longues années après par… son héritière, une PlayStation 2 qui va atomiser encore un peu plus la concurrence. Mais une telle success story n’aurait jamais existé sans celle de la toute première console de jeux vidéo de Sony, dont l’impact auprès du grand public fut sans égal à son époque, et demeure encore immense 30 ans après. Nous pourrions bien sûr parler de cet héritage encore très longtemps, tant le jeu vidéo a connu un avant et un après PlayStation.

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Parce que oui, depuis le milieu des années 1990, la donne a radicalement changé : le grand public a pris l’habitude de dire “une PlayStation” pour désigner une console de jeux vidéo, comme il avait coutume de dire “une Nintendo” auparavant. Cet abus de langage, comparable à l’usage de termes comme “iPod” pour parler d’un lecteur multimédia portatif, ou plus généralement, de “Sopalin”, “Kleenex” et autres “Scotch”, a pris une telle importance dans la culture populaire que les rivaux de Sony vont considérablement peiner à exister sur le marché des consoles de salon pendant les trois décennies qui suivront. Si la pénurie de PlayStation 5 fut aussi importante il y a quatre ans, et que la majorité des possesseurs de la machine ne l’utilisent que pour les itérations annuelles de FIFA et/ou de Call of Duty, c’est parce que la marque “PlayStation” s’est naturellement imposée comme une référence, et ce sur tous les continents. Même en Amérique où Microsoft a tenté tant bien que mal de répliquer avec Xbox, pour le succès très relatif que l’on sait. Certes, Nintendo est toujours dans la partie, et même plus que jamais avec la Switch, mais reste que c’est bel et bien Sony est parvenu à imposer le jeu vidéo auprès du grand public à une époque où il donnait encore l’impression d’être un loisir pour geeks et autres enfants et adolescents attardés.

Cela fait déjà trois décennies entières que Sony a changé la face du jeu vidéo. En commercialisant une console visant à séduire un public plus vaste, et surtout en faisant preuve d’une agressivité marketing sans précédent, le constructeur japonais a plus que réussi son entrée sur un marché auquel il ne destinait initialement pas. Capable de transfigurer totalement un paysage médiatique dont elle n’était supposé être qu’un outsider, la PlayStation a radicalement changé les habitudes de consommation des joueurs, mais aussi d’un public qui ne s’imaginait pas capable d’accrocher aux jeux vidéo. 30 ans plus tard, l’impact de cette machine de légende est considérable, et son héritage fort d’une grande lignée de consoles PlayStation témoigne d’un coup de force comme personne n’en a été capable depuis. Si Microsoft a tenté de rivaliser et que Nintendo a préféré voir les choses sous un autre angle, c’est pour une bonne raison : la marque PlayStation est aujourd’hui surpuissante, et synonyme de jeu vidéo aux yeux du grand public. Un succès retentissant à l’héritage incroyablement riche, que même Sony n’aurait sans doute pas osé imaginer en 1994.

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