Personne ne croyait en ce jeu vidéo, mais Blizzard lui a donné sa chance. C’est aujourd’hui l’une des licences les plus emblématiques du média
Depuis vingt-cinq ans, la saga Diablo passionne des millions de joueurs et chaque nouvel épisode est vécu comme un évènement. Il y a peu, Diablo IV a d'ailleurs reçu sa première extension, Vessel of Hatred, qui est excellente. Mais savez-vous comment tout ça a commencé ? On vous raconte.
Diablo est aujourd’hui une licence incontournable du jeu vidéo. Une saga si forte qu’elle donne même son nom à un genre : le Diablo-like. Pourtant, la création du premier épisode n’est que le fruit d’une succession de hasards. Nous la devons à un seul homme : David Brevik. On vous raconte tout ça.
Natif de l’état de Géorgie, David Brevik déménage en Californie non loin de San Francisco alors qu’il est encore enfant. Étudiant en sciences informatiques à l’université, il obtient son diplôme et se fait embaucher par FM Waves, une entreprise spécialisée dans la création d’illustration qui tente de se lancer dans le jeu vidéo. Brevik, qui est mordu de ce média depuis l’avènement de PONG, saisi sa chance et se voit confier la programmation d’un petit jeu que tout le monde a oublié : Gordo 106. Exclusif à la Lynx, la console portable couleur d’Atari, il met en scène un singe de laboratoire qui décide de se faire la malle. Mêlant plateforme et action, le jeu est assez injouable, mais il permet au jeune homme de mesurer l’instabilité d’une industrie naissante. Peu convaincu par le projet, il quittera d’ailleurs FM Waves au bout de quelques mois et l’échec du jeu sonnera le glas de la petite compagnie.
Un incroyable concours de circonstances
Après cette courte première expérience, David Brevik parvient à signer un contrat chez Iguana Entertainment, une société bien plus solide financièrement. Mais la tâche qu’il doit réaliser n’est vraiment pas à la portée du premier venu puisqu’elle consiste à convertir un jeu de football américain, Super High Impact, de l’arcade vers la Mega Drive. Et pour ce job, on lui donne seulement trois mois. Le pari est réussi et impressionne l’éditeur. Iguana Entertainment profite de cela et se voit confier de nouveaux projets, dont un certain Aero The Acrobat, un jeu de plateforme très sympa avec une chauve-souris acrobate dans un cirque, et le très célèbre NBA Jam.
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Mais tout bascule quand Iguana Entertainment décide de délocaliser ses bureaux de la baie de San Francisco à Austin au Texas. En réalité, c’est le patron du studio qui s’est marié et sa compagne voulait retourner dans son état de naissance. N’ayant pas le souhait de déménager, David Brevik choisit de démissionner et fonde son propre studio, Condor, avec d’anciens membres rencontrés chez FM Waves. Dans un premier temps, l’équipe se focalise sur des jeux de commande, notamment des simulations de football américain pour l’éditeur Acclaim. C’est alors qu’un incroyable concours de circonstances se produit. Condor a pour mission de créer le jeu Justice League Task Forces sur Mega Drive et David Brevik découvre, lors du CES (Consumer Electronics Show), qu’un autre studio, Silicon & Synapse, est en train de faire Justice League sur Super Nintendo. Même si la pratique est courante pour l’époque, le choc est à la hauteur de la surprise. Et pour cause, sans s’être concertés, les deux entités ont créé un jeu qui se ressemble énormément. Intrigué, David Brevik entre naturellement en contact avec ses confrères. « On a commencé à parler avec eux, ils nous ont dit qu’ils venaient de vendre leur société et qu’ils travaillaient sur leur premier jeu PC. » indique l’interlocuteur. « J’ai sauté sur l’opportunité pour leur parler d’une idée de jeu de rôle. »
LE VOL DU CONDOR DE BLIZZARD NORTH
David Brevik obtient un accord intéressant. Les fondateurs de Silicon & Synapse l’invitent à revenir les voir lorsqu’ils auront terminé le jeu sur PC. Et ce titre n’est autre que l’excellent jeu de stratégie, Warcraft. Peu de temps après, Silicon & Synapse change de nom pour quelque chose de plus percutant et devient Blizzard Entertainment. En janvier 1995, David Brevik et son équipe présentent un prototype sur lequel ils ont travaillé pendant des semaines. Destiné au monde du PC, il s’agit d’un jeu de rôle avec une vue de trois quarts qui va donner naissance à tout un genre. Six semaines après la réunion, alors qu’ils avaient présenté le concept à plus de vingt éditeurs (qui disaient tous que le RPG était mort), David Brevik et son staff s’attaquaient à la création de l’un des jeux les plus emblématiques de l’Histoire du jeu vidéo. La conception va toutefois être difficile…
Féru de RPG à l’ancienne, façon Rogue-like (un sous-genre du jeu de rôle où un joueur solo arpente des donjons hostiles en glanant de l’expérience), David Brevik se heurte finalement à la réalité d’un marché qui a besoin d’être « rééduqué » en matière de jeux de rôle. Blizzard Entertainment lui propose alors de passer de combats proches du tour par tour à des affrontements en temps réel. Peu convaincu, il tente l’expérience et s’avoue… vaincu. Il concède : « Notre tour par tour était presque un pseudo-temps-réel. Par conséquent, le gros du design est resté le même, mais ça a rendu le jeu plus « arcade », faute de meilleur terme. Les projectiles magiques volaient à l’écran, le mucus giclait, sans parler des choses qu’on ne pouvait pas faire avant et qui devenaient possibles. Je crois que ça a eu un gros impact sur l’orientation plus action du jeu, en comparaison avec les mécaniques de départ. On a ajouté de plus en plus de sorts fantastiques. » Bien que l’idée initiale de Diablo provienne des jeux Ultima, elle a finalement évolué jusqu’à devenir un titre d’exception. À mi-chemin du développement, Blizzard rachète Condor pour le renommer Blizzard North, l’idée étant de capitaliser sur un studio dont le nom commence à faire du bruit.
LE DIABLO-LIKE EST NÉ
À sa sortie en 1996, Diablo – dont le nom provient de la montagne éponyme à côté de San Francisco où David Brevik a emménagé lorsqu’il était enfant – scotche tout le monde. Alors que le jeu de rôle est en perdition pour bon nombre de joueurs (Final Fantasy VII n’est pas encore disponible sur PlayStation), l’œuvre de Blizzard North a tout d’une illumination. Pour David Brevik, le jeu représente un saut dans l’inconnu dans de nombreux domaines : c’est la première fois qu’il se retrouve à coder en C au lieu de l’assembleur (des langages informatiques) et c’est aussi la première fois, sous l’impulsion de Blizzard, qu’il se plonge dans l’univers du multijoueur en ligne. Pionnier d’un genre nouveau (on parle alors de Diablo-like), Diablo vient dynamiter, avec Warcraft, une industrie qui commençait à tourner en rond sur PC.
Construit sur le même modèle que le jeu XCOM (dont il reprend la vue isométrique) et s’inspirant des codes de la dark fantasy, le jeu de Blizzard North a enclenché tout un processus créatif qui a conduit à l’élaboration de suites à succès et d’extension, mais aussi d’une adaptation PlayStation du premier épisode. S’il semble logique que Diablo V soit en discussion, profitons comme il se doit du quatrième épisode canonique qui vient d’accueillir sa première extension. Le hack’n slash a de beaux jours devant lui. Et dire que toute cette histoire a commencé parce qu’un type a décidé de suivre sa femme au Texas…
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