Pourquoi la quasi-lune de Vénus s’appelle Zoozve
Parfois, il suffit d'un rien pour que démarre une aventure astronomique passionnante. Un poster dans une chambre d'enfant, l'obstination d'un scientifique, et une faute d’orthographe.
Tous les astres connus ont un nom. Des planètes les plus proches de nous aux petites étoiles situées à des milliards d'années lumière de la Terre, chacune peut être identifiée. Le plus souvent par une série de chiffres et de lettres. Il y a bien trop de corps célestes dans l'univers pour trouver à chaque fois une appellation originale. Ce cas est une exception. Il y a environ un an, Latif Nasser est dans la chambre de son fils de 2 ans. Il le borde pour le coucher, et machinalement ses yeux se posent sur un poster accroché au mur.
Il le connaît par cœur, c'est une version stylisée de notre système solaire qu'il a lui-même acheté. Ce soir-là pourtant, un détail présent depuis toujours, mais passé inaperçu, retient son attention. À côté de la planète Vénus se trouve une lune au nom particulier : Zoozve. Latif Nasser, pourtant détenteur d'un doctorat du département d'Histoire des Sciences d'Harvard et co-animateur du podcast scientifique Radiolab, n'a jamais entendu parler de cette lune. La curiosité du père de famille vient d'être piquée.
À la recherche de Zoozve, la mystérieuse lune de Vénus
Sitôt sorti de la chambre de son fils, Nasser lance une rapide recherche sur Internet. Une page du site de la NASA est formelle : “Vénus n'a pas de lune“. Mais pourquoi quelqu'un se serait amusé à inventer Zoozve dans ce cas ? D'autant que le reste du poster est complètement fidèle à la réalité. La planète Mars est bien représentée accompagnée de ses deux satellites Deimos et Phobos, Mercure est un astre solitaire… L'homme veut en avoir le cœur net. “Ce nom était si bizarre, et il semblait volontaire. Ce n'était pas un accident“, se dit-il à l'époque.
Google ne lui fournissant pas une réponse satisfaisante, Latif Nasser se tourne vers son amie Liz Landau. Elle est spécialiste en communication scientifique à la NASA et a sûrement entendu parler de Zoozve. Peine perdue : ce nom ne lui dit absolument rien, tout comme une soi-disant lune de Vénus. La page de la NASA est tout à fait correcte, la planète n'en possède aucune. Mais elle aussi, intriguée, rejoint l'aventure. Si elle n'a jamais entendu parler de Zoozve, d'autres personnes à la NASA pourront la renseigner, forcément. “Je les trouverai“, assure la scientifique à son ami.
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Pendant que Liz Landau arpente les couloirs de l'agence spatiale américaine, Nasser retourne examiner le poster dans la chambre de son fils. Qui l'a dessiné ? La signature de l'artiste est illisible, mais après quelques recherches, son nom se dévoile. Alex Foster. L'animateur de podcast le contacte immédiatement et lui propose de venir au studio pour participer à une émission où il pourra expliquer ce qui se cache derrière Zoozve.
Le sort s'acharne. Il n'en a pas de souvenir précis, mais il est catégorique sur un point cependant : il n'a pas inventé ce nom puisqu'il vient d'une liste des lunes de notre système solaire trouvé en ligne. Impossible de remettre la main dessus bien sûr. Heureusement, Liz Landau vient de tout comprendre.
Zoozve ne s'est jamais appelée Zoozve
L'employée de la NASA appelle son ami Nasser pour lui annoncer sa découverte. En réalité, Zoozve ne s'appelle pas Zoozve. Et ce n'est même pas une lune d'ailleurs. L'astre est ce qu'on appelle une quasi-lune, c'est-à-dire qu'il tourne en orbite à la fois autour d'une planète, ici Vénus, mais pas seulement. Sa trajectoire est également influencée par la force gravitationnelle d'autres objets célestes. Notre Lune ne tourne qu'autour de la Terre en comparaison (autour du soleil aussi techniquement, mais son “ancre” principale reste la planète bleue).
Et pourquoi Zoozve alors ? Tout simplement parce qu'au moment d'écrire le nom de l'astre sur son poster, Alex Foster a mal relu ses notes. La quasi-lune de Vénus s'appelle en réalité 2002VE, soit l'année de sa découverte, suivie de VE pour Vénus. C'est la première quasi-lune repérée par l'Homme. La Terre en a une aussi, nommée Kamo'oalewa, et les scientifiques pensent qu'il s'agit d'un bout de la Lune qui s'est détaché à un moment de son histoire. Une autre a été repérée près de nous en 2023, tournant autour de la Terre et du Soleil.
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L'histoire n'est pas finie pour autant. La vérité a éclaté, certes, mais toutes les personnes impliquées dans l'aventure Zoozve ne comptent pas en rester là. 2002VE, dont le nom complet est 2002VE86, mérite mieux. Pendant ses recherches, Latif Nasser a retrouvé celui qui l'a découvert il y a plus de 20 ans, un chercheur du nom de Brian Skiff. Il le contacte, mais ce dernier n'a aucun souvenir de sa trouvaille, tant il a travaillé sur de nombreux corps céleste depuis. Cela s'avèrera un atout au final, car Nasser a un objectif : il veut que Zoozve soit adopté comme le nom officiel de la quasi-lune.
Une histoire de faute d’orthographe qui finit bien
Quand il s'agit de nommer un astre autrement que de manière automatique, par la fameuse série de chiffres et de lettres, il faut envoyer une demande argumentée à l’Union astronomique internationale. L'organisation non gouvernementale réunissant des professionnels du secteur rend alors sa décision. Il y a des règles à respecter cela dit. L'une d'elle étant que la proposition doit faire référence à la mythologie. Peu importe. Latif Nasser fait relire son dossier par Brian Skiff, qui l'approuve, et l'envoie le 12 octobre 2023.
Le 5 février 2024, la réponse tombe : l'Union astronomique internationale a dit oui, la quasi-lune de Vénus s'appelle désormais Zoozve. Les membres de la commission ont visiblement été touchés par le récit de Latif Nasser et ont accepté de faire une entorse à la règle, juste pour cette fois. Au fait, ne vous inquiétez pas de la manière dont vous avez prononcé Zoozve dans votre tête pendant la lecture de cette histoire. Ce point est laissé à l’appréciation de chacun.