Vous pensiez que la guerre entre Sega, Nintendo et Sony n’était que du marketing ? Attendez de découvrir les crasses que les trois géants se faisaient en coulisses, tous les coups étaient permis
Dans les années 1990, le jeu vidéo est un divertissement en pleine ascension. Les acteurs du média, confrontés à une concurrence de plus en plus féroce, ne se font aucun cadeau. Pour manger la plus grosse part du gâteau, ils n’hésitent pas à se faire des crasses, et autres petites farces. En voici quelques-unes qui devraient vous faire sourire.
Aujourd’hui, le jeu vidéo est un marché qui brasse des milliards de dollars. Loisir favori de millions de personnes sur la planète, il est loin de l’image d’un divertissement pour enfants et le cinéma lui fait régulièrement les yeux doux. Il y a trente années de cela, la situation était très différente et il fallait souvent jouer de malice pour prendre l’ascendant sur son concurrent.
Interrogé par votre serviteur en 2017, Tom Kalinske, ancien président de SEGA of America, racontait ceci : « Les jeux vidéo étaient considérés comme un marché secondaire. Au CES (NDA : Consumer Electronics Show, un rendez-vous majeur de l’innovation technologique), nous étions relégués tout au fond de la convention. Pour arriver à la zone jeux vidéo, il fallait passer devant tous les nouveaux téléviseurs, ordinateurs, équipements audio et même devant… la section de films pour adulte ! Les jeux vidéo étaient là, dans une tente à l’arrière du centre de convention ! En 1991, je me souviens qu’il pleuvait à Las Vegas, juste au-dessus de notre stand. J’ai estimé que ça suffisait, que nous allions quitter le CES et créer notre propre salon. » Insupportés par le manque de reconnaissance des professionnels d’autres milieux technologiques, les acteurs du jeu vidéo vont alors se réunir pour ériger un salon entièrement dédié à la cause des pixels colorés. Impulsé par le syndicat des éditeurs américains, le célèbre E3 (longtemps, le plus grand salon du jeu vidéo au monde) ouvre ses portes en 1995.
Espèce de dégonflé !
Pour cette grande première à Los Angeles, tous les éditeurs et développeurs les plus prestigieux ont répondu à l’appel. Pour SEGA et Nintendo, l’impact médiatique d’un tel évènement est une aubaine et chaque fabricant, sans exception, cherche à attirer la lumière sur ses consoles et ses jeux. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons : baudruches gonflables, tracts distribués en ville, banderoles de plusieurs mètres, hôtesses charmantes, stands gigantesques… le rêve américain est là. Pour Tom Kalinske et les autres acteurs du milieu, l’E3 apparaît comme un grand terrain de jeu où tous les coups sont permis et ils ne vont pas se laisser prier.
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La veille de l’ouverture du salon, les protégés de Nintendo et de SEGA se faufilent jusqu’aux hôtels où logent les éditeurs en glissant des tracts sous les portes. Si certains tracts mettent en avant les produits de la marque, d’autres n’hésitent pas à égratigner la concurrence, parfois avec un slogan humoristique. En 1995, Sony joue gros avec la PlayStation (qui arrive aux États-Unis et en Europe) et SEGA va l’apprendre à ses dépens. « Sony nous a fait beaucoup de farces. » confie Tom Kalinske. « Ils ont carrément dégonflé notre baudruche gonflable Sonic que nous avions apportée pour le salon ! » Il poursuit : « Pour moi, l’E3 était vraiment amusant. J’annonçais nos nouveaux produits et nos nouveaux prix afin que Nintendo n’ait pas le temps de réagir. Steve Race, avant d’aller chez Sony, était avec moi chez SEGA à l’époque. Mais lors de l’E3 1995, il m’a rendu la monnaie de la pièce. C’était drôle. »
Ce qui était peut-être un peu moins drôle, et ça a eu une répercussion énorme sur l’arrivée de la SEGA Saturn (la concurrente de la PlayStation) aux États-Unis, c’est que l’équipe américaine de SEGA a reçu l’ordre de la maison-mère japonaise de lancer la console et les jeux simultanément au salon ! L’annonce a été accueillie sous les vivats du public et tout le monde se disait que SEGA allait prendre une avance terrible sur Sony. Seulement voilà, Steve Race, l’un des dirigeants de Sony, s’est avancé au pupitre et a lancé un simple « 299 », certifiant d’un prix de vente inférieur de 100 dollars pour la PlayStation (la Saturn était vendue 399 dollars). En parallèle, l’annonce de la Saturn aux États-Unis était si soudaine que la branche américaine a été incapable d’anticiper un plan d’action marketing. Il a alors fallu dispatcher les rares consoles dans certaines enseignes (provoquant la grogne des magasins mis sur le bord de la route) et se contenter d’un catalogue de jeux famélique. Pas le top pour lancer une machine !
Les coups bas se poursuivent
En 1998, la PlayStation domine outrageusement le marché du jeu vidéo et Nintendo résiste avec sa Nintendo 64 et ses excellents jeux. En France, Nintendo décide de miser sur la puissance de la console et n’hésite pas à troller les consoles 32-bits de la concurrence dans les magazines. Chez SEGA, l’heure est à la revanche et la Dreamcast, future console du constructeur, est dans les startings blocks.
Alors qu’il compte bien se reprendre après l’échec (commercial) de la Saturn, le fabricant japonais donne une totale liberté à ses différentes antennes régionales pour enquiquiner la concurrence. Un jour, alors que Sony organise un grand évènement sur un terrain de golf prestigieux de la baie de San Francisco, SEGA décide de frapper fort. Après avoir fait la reconnaissance topographique du terrain (la veille de l’évènement), ils déclenchent l’opération baptisée « The Attack on Titan » (L’attaque du titan). Pour mettre à mal la petite sauterie de Sony, SEGA fait remplacer les balles de golf… par des balles de marque SEGA et fait décoller un avion publicitaire muni d’une banderole indiquant « SEGA DREAMCAST 9-9-99 ».
On aurait bien voulu voir la tête des invités… surtout qu’un employé de SEGA a réussi à se faufiler sur le terrain de golf, à emprunter une voiturette de golf et à enfiler un costume de Sonic ! Amusant, non ?
SEGA ne s’est pas arrêté là et a fait une petite blague à son concurrent à quelques semaines du lancement de la Dreamcast sur le sol européen. Dans les magazines de presse spécialisée, une curieuse photo se met soudainement à apparaître. On y voit les bâtiments officiels de Sony en Angleterre avec un tag sur la façade indiquant : « Sony PlayStation : Best Before 14/10/99 », autrement dit Sony PlayStation : à consommer de préférence avant le 14 octobre 1999. Cette date n’est pas choisie au hasard puisqu’il s’agit de la date de lancement européen de la Dreamcast. Il s’agit d’un simple canular, mais la farce fait son effet.
Ce que ces histoires soulignent, c’est que les éditeurs, même si Nintendo a été assez calme en la matière, s’amusaient à se faire des crasses. Ils s’entendaient très bien, mais n’hésitaient pas à mettre des bâtons dans les roues des concurrents. Ce n’est ainsi pas un hasard si Sony a misé sur une communication marketing très forte en mettant en avant l’accessibilité de la PlayStation face à une Saturn très complexe à maîtriser pour les développeurs. De la même manière, SEGA n’a pas hésité une seconde à utiliser la publicité comparative aux États-Unis avec le slogan « Genesis Does What Nintendon’t ». Genesis est le nom américain de la Mega Drive et le slogan signifie, en substance, la Genesis fait ce que Nintendo ne fait pas. Il y a même eu des publicités comparant Mario et Sonic, mais aussi les prix des machines.
On comprend dès lors pourquoi la « tradition » s’est perpétuée dans les années 2000, comme l’incroyable séquence de la péniche Xbox passant sur la Seine à quelques mètres du lancement de la PlayStation 3. Oui, c’est de bonne guerre, mais oui, c’est rigolo. À quand la prochaine blague ?